Le tabac se cultive depuis des temps immémoriaux même ici au Québec. Aux temps où la culture amérindienne dominait, les hommes s’occupaient de cette plante sacrée comme nourriture de l’esprit comparativement aux femmes qui elles, plantaient et récoltaient la nourriture du corps. Il en existait de très anciennes variétés locales maintenant disparues. Vers la fin du 18e siècle, le gouvernement voyant une possible source de revenu pour les agriculteurs canadiens, aida l’industrie à identifier et sélectionner des cultivars répondant mieux aux contraintes climatiques nordiques.

Marché Bonsecours 19XX (image: collection Michel Bazinet)

Aux 18e et 19e siècle, les meilleurs tabacs poussaient dans les Antilles Françaises, les Caraïbes et aux États-Unis (Virginie, Caroline du Nord, Dakota, etc.) où l’histoire nous ramène jusqu’à la période esclavagiste de nos voisins du sud. Pour rivaliser avec ces régions reconnues depuis longtemps, l’industrie du Haut et du Bas Canada se devait d’améliorer la constance et la qualité de sa production. Au fil des décennies, la région de Joliette devint une plaque tournante notamment avec son « tabac jaune ». Cette appellation faisant référence aux feuilles qui, une fois séchées, devenaient totalement jaunes. Il s’agissait principalement de la variété appelée « Virginie » destinée au tabac à cigarette.

Culture de plants de tabac, Saint-Casimir, Québec, 1916 (?) (source: Musée McCord)

De fait, il existait une foule d’autres cultivars pour l’isage de la pipe, à chiquer ou pour le cigare. Nous avons pu retracer une vidéo détaillée de 1951 (photos à l’appui) tirée d’un documentaire de l’Office provinciale de publicité Ciné-Photo Québec concernant la manière dont on le cultivait dans ces années. Pour des raisons historiques et aussi parce que nous recevons de nombreuses questions concernant la culture de cette plante, nous avons cru pertinent vous en faire la description. Évidemment, ces étapes concernent une pratique commerciale à grande échelle. Vous pouvez vous en inspirer pour votre production domestique.

Stérilisation du sol par vapeur (1951)

Gardez en mémoire qu’on remonte 65 ans en arrière. Certaines techniques n’ont plus cours ou méritent qu’on les remplacent par des moyens plus écologiques. Ces notes se veulent avant tout une retranscription historique.

Pour commencer, dans une serre préparée à cet effet, le sol est stérilisé à la vapeur pour détruire tous les germes et les maladies avant de faire les semis directs. Les semences sont déposées directement sur le sol préparé car elles ont besoin de lumière pour germer et d’une température d’au moins 20 degrés Celsius. Vers le 24 mai, c’est le début officielle de la plantation au champ. Seuls les plants les plus robustes et de hauteur égale sont choisis pour assurer une plantation uniforme. Ils sont ensuite transportés sous un abris pour l’acclimatation. Cette étape se surnomme « l’attaque ».

Sélection des plants uniformes (1951)

Plantation du tabac (1951)

Par la suite, les transplants sont déposés dans des sillons espacés de 22 à 24 pouces en ayant soin d’inclure une tasse d’eau pour chaque plantule. À l’époque, à la brunante, on répandait du  » son empoisonné » pour tuer le vers gris. Cet insecte nocturne attaque le collet de la plante pour le dévorer en coupant la tige net. Cette bestiole se repose durant la journée dans le sable chaud pour s’enfoncer vers la mi-juin dans le sol pour se transformer en pupe durant 3 semaines et devenir un papillon appelé  » fil de fer ». Il existe évidemment aujourd’hui des moyens naturels pour s’y attaquer.

Sarclage du tabac (1951)

Il est donc nécessaire de repiquer de nouveaux plants au fur et à mesure de leur destruction. Il faut sarcler le plus tôt possible pour réchauffer la terre et stimuler la croissance des plants (sur le rang et entre les rangs). Vers la mi-juillet, les plants devenus trop haut, le sarclage se fait à la main. La mosaïque, une autre maladie du tabac, peut être contrôlée par la rotation des cultures. Le ver à tabac, à l’époque, se voyait détruit par l’arrosage de DDT. Il existe aujourd’hui, d’autres méthodes naturelles pour y remédier. Cet arrosage se faisait de manière hebdomadaire.

Écimage du tabac (1951)

À la fin de juillet, c’est l’apparition des boutons floraux. Voici venu le temps de l’écimage. L’écimage permet de transmettre la sève au feuillage. On le fait à la main. L’œil rapide décide où doit être cassé la tige selon la force et la forme du plant. Ça permettra au feuillage de grandir. La récolte débute au début août et dure 6 semaines. Comme les feuilles mûrissent à mesure qu’elles poussent, le cassage commence au pied de la tige. Vers le même temps, se fait l’ébrageonnage. Après l’écimage, des drageons ou rejets se forment au détriment du feuillage. En les enlevant, on augmente la qualité des feuilles et leur maturité. Le deuxième cassage des feuilles se fait 8 jours après le premier en enlevant 2 à 3 feuilles au plant. Mais l’important étant de les choisir de manière uniforme.

1er cassage des feuilles de tabac (1951)

Ébrageonnage des rejets (1951)

Attachage des feuilles de tabac (1951)

D’autre part, près des séchoirs, ce sont les « attacheuses » qui s’appliquent à attacher les feuilles par groupe et les déposer sur les supports. Pour obtenir des feuilles épaisses et bien mûres, le type de sol, la date du semis et la manière de cultiver sont autant de facteurs permettant d’augmenter ou de diminuer la qualité du tabac. Après 4 ou 5 cueillettes, c’est le dernier cassage. Il ne reste que quelques feuilles sur le dessus du plant. Les feuilles sont rangées sur des supports pour le séchage. Seul quelqu’un de très expérimenté peut parvenir à trouver le séchage adéquat. 2 fourneaux au bois ou à l’huile réchauffent les tuyaux à la base du séchoir qui va répandre une chaleur égale à travers les lattes. Lors des 4 à 5 jours de séchage, la température devra être surveillée jour et nuit. Une fois séchée, on étend le tabac. Les feuilles doivent être assez souples pour être entreposées.

Entrée du tabac au séchoir (1951)

Enfouissement des tiges de tabac (1951)

Par ailleurs, il est important de couper les tiges du tabac restées au champ pour les réintroduire dans le sol afin d’y retourner de la matière organique. Semer du seigle tout de suite après cette étape car il aura le temps de pousser jusqu’à l’automne et de se récolter en juillet de l’année suivante. On parcellait ainsi le terrains pour abriter des vents le tabac que le producteur revendait si le prix était bon. Mais la majorité préférait enfouir le seigle à la herse pour ajouter de la matière organique  donnant de la consistance aux terres légères. Cela produira des pousses vigoureuses qui protégera aussi le sol jusqu’au printemps prochain; l’important étant de ne pas laissez le sol dénudé. On y ajoutera 4 à 5 tonnes de fumier à l’argent.

Triage manuelle des feuilles de tabac (1951)

Les brises-vents naturels (épinettes ou pins) complète cet attirail pour aider les terres sablonneuses à reprendre du tonus. Sur la ferme, en octobre, on s’occupe de l’expédition. Les feuilles sont assouplies à là vapeurs. Elles sont triées à savoir, les feuilles trop sèches, brûlées, mortes et surtout celles de qualité. Cette étape se fait par le responsable selon la texture, l’élasticité et les nervures fines. Les balles de 50 à 60 livres chacune portent le sceau du producteur et le numéro de la cueillette.

Finalement, elles étaient envoyées à Joliette à la coopérative de tabac Laurentien pour être classé par des « classeuses ». Il est à noter qu’en 2012, la culture du tabac jaune cessa définitivement au Québec.

Traitement et classage des feuilles de tabac (1951)

Champs intercalés de tabac de seigle (1951)

Saviez-vous que? Le 4 juillet 1931, L’action populaire publiait une note intéressante. Le docteur Lionel Stevenson, auteur du bulletin fédéral « Parasites, animaux qui nuisent aux moutons dans l’est du Canada » suggérait aux éleveurs de leur faire manger du tabac. Dans le but de réduire les malaises intestinaux causés par ces bestioles, il proposait de mélanger une proportion de dix livres de sel pour une livre de feuilles de tabac broyées. En faisant sécher les feuilles de manière qu’elles puissent être broyées en petits morceaux, d’une grosseur comparable à celle du son de blé, la poudre mélangée au sel va former un genre de gâteau que les animaux pourront lécher. Évidemment, pour la première fois, habituer les animaux avec de plus petites quantités deux semaines au préalable. 

Champ de tabac, ferme d’Harmegnie, Chambord, Lac-Saint-Jean (Québec) vers 1906 (source: Musée McCord)