Les plus âgés-es se souviendront sûrement du fameux tablier de leurs grand-mères. L’expression « se cacher dans la jupe de sa mère » tire justement son origine des enfants timides cherchant à s’y réfugier pour ne pas se faire voir des visiteurs. En raison de leur peu de vêtements de rechange, cette pièce de linge s’est avérée non seulement indispensable pour les protéger contre la saleté mais aussi pour les assister dans une foule de travaux, y compris ceux au champ et au potager. Fabriqué en coton, un tissus plus facile à nettoyer, il évitait une corvée de lavage d’une blouse, une jupe ou une robe conçue avec un autre textile. Dans notre coin gaulois francophone d’Amérique de nord, ce sont surtout les femmes qui l’ont porté depuis le début de la colonie et ce, jusqu’au milieu du 20e siècle.

Représentation illustrée de travaux au champ des premiers colons français en Acadie

Ses racines européennes exactes sont mal définies mais lorsqu’on remonte jusqu’au moyen-âge, c’était un essentiel de la garde-robe. L’esthétique passait au second plan. Fabriqué ample et en lin, tout le monde le portait y compris les hommes. À travers les âges, selon sa composition, son look et sa fonction, il fût le reflet de la société et à partir du XIXe siècle, on pouvait même détecter votre classe sociale juste par son aspect. Par exemple, il fût et est encore de nos jours, un symbole hiérarchique d’appartenance aux Franc-maçons (apprenti jusqu’au grand maître). Au Québec du XIXe siècle, on le retrouvera porté par la majorité des domestiques (aussi appelées  « bonne à tout faire ») et des femmes au foyer. Que ce soit cuisine, lessive, ménage, repassage, allumage du poêle ou cirage des chaussures, il convient à toutes les tâches.

Domestique et un chien vers 1913 (photo: collection Monique Mercure-Vézina, Bibliothèque et Archives Nationales du Québec)

Ainsi, avant l’invention des « mitaines de fourneau », mis-à-part sa fonction de gant pour sortir un plat mijoté brûlant du fourneau, essuyer les chagrins des enfants, les frimousses sales, transporter les oeufs du poulailler, s’éponger le front, se protéger du temps frais en le plaçant sur les épaules, ranimer le feu à la manière d’un soufflet, signaler aux  « hommes au champ » que le repas était prêt en l’agitant ou nettoyer un comptoir à la va-vite devant un visiteur improviste, il convenait aussi parfaitement aux travaux légers de la terre. Souvenez-vous, ce sont en grande partie les femmes qui s’occupaient du potager.

De fait, il devenait un allié parfait pour transporter le bois sec pour la cuisinière, les patates ou les pommes tombées par terre. Sinon, il transportait à ravir les très nombreux légumes allant des petits pois jusqu’aux choux.

En haut: Madame Conrad Perrault travaillant dans le potager à Notre-Dame-du-Nord, comté Témiscamingue. En bas à gauche: Madame Adrien Allard dans son jardin à Saint-Alexis, comté de Montcalm. En bas à droite: Madame Sylvio Doire dans son potager à Lorrainville, comté Témiscamingue. Photos: Omer Beaudoin en 1953. À l’époque, les femmes portaient le nom de leur mari.

Dès la fin du XIXe siècle jusqu’au début du XXe, il change d’aspect. L’esthétique entre en jeu. On voit apparaitre des broderies, dentelles ainsi que des tissus de qualité pour en faire un vêtement d’apparat. On fait ici une distinction entre le tablier de tous les jours versus celui du dimanche. De gros changements surviennent à partir des années 1960. La société change à vitesse grand V. Terminé le tablier des  « domestiques ». Il devient le symbole de la ménagère de la classe moyenne. 

Tabliers tissés pour publication en 1950 (photo: Omer Beaudoin)
Tabliers tissés pour publication en 1950 (photo: Omer Beaudoin)

Par la suite, l’apparition des électroménagers, la révolution sexuelle et la présence de plus en plus grande des femmes sur le marché du travail le relègue à un symbole anti-féministe et graduellement, il disparait. Car, faut l’avouer, même si on le retrouve encore en restauration, auprès des forgerons, jardiniers, artistes-peintres, sa dimension se limite très souvent à se protéger (chaleur, saleté, éléments projetés, etc.) et une fois terminé, fiou! on l’enlève. Malgré la forte remontée de l’intérêt de la cuisine auprès de la population, il demeure vieillot et personne ne semble intéressé à le reprendre dans sa version ancienne. Malgré les bons souvenirs qu’il évoque dans nos séries télévisées qui recréent notre passé, il se fait bouder par les jeunes car disons-le…. il n’est pas très tendance.

Monique Aubry et Nicole Leblanc (à droite) dans le téléroman « Le temps d’une paix » diffusé entre 1980 et 1986 (Photo: Radio-Canada/André Le Coz)

Pour les nostalgiques, sachez qu’il existe une version du tablier en coton offerte par « Quelle histoire! », une entreprise québécoise. Avec différents thèmes imprimés, elle offre une collection de linges de maison née de la passion de sa propriétaire pour l’histoire fascinante des races et des semences patrimoniales du Québec et celle de nos emblèmes culinaires