Femme algonquienne récoltant de l’eau d’érable (image: gwentuinman.com, date inconnue)

En langue algonquienne, le mot « Sinzibuckwud » identifie le « sirop d’érable ». La traduction littérale nous amène davantage à l’expression: « tiré de l’arbre ». Au début du 16e siècle, les Premières Nations partagent leur processus de fabrication du sirop d’érable avec les Européens. En 1521, Peter Martyr (1457-1526), historien italien, écrivit que:

…le miel se trouve dans l’arbre et est cueilli parmi la bruyère et les ronces.

Parmi le peuple iroquoien, l’une des nations autochtones les plus importantes en Amérique du Nord, les lignées matrilinéaires dictent les zones des érablières à sucre. La responsabilité de la collecte et du traitement de la sève incombe donc aux femmes. Chaque cheffe de famille possède sa propre loge ou « cabane à sucre » dans son bosquet ou près de son habitation. La sève d’érable coule du premier dégel printanier jusqu’à la mi-mars ou avril, soit jusqu’au moment où les bourgeons se transforment en feuilles. Environ 40 gallons (180 litres) de sève doivent être recueillis pour faire un gallon (environ 4.5 litres) de sirop; l’équivalent de 640 tasses de sève pour 16 tasses de sirop. Lorsque la sève coule à un débit constant, un arbre peut produire jusqu’à 2 gallons (9 litres) toutes les 24 heures. La sève se collecte à chaque jour et on l’amène au camp pour être bouillie.

Femmes préparant des récipients en écorce de bouleau (image: Musée du Minnesota)

Des rouleaux d’écorce de bouleau ont été pelés des arbres au début du printemps et façonnés en de larges récipients de stockage peu profonds mesurant 7 à 10 pouces (18 à 25 cm) de large, 20 pouces (50 cm) de long et environ 8 pouces (20 cm) de profondeur. Les coutures sont cousues avec de minces brins tirés de racines d’épinette ou de tilleuls et scellées avec de la poix de pin. Une femme conçoit de 1 200 à 1 500 conteneurs de ce type, dont chacun sera rempli d’innombrables fois au cours de la saison.

Les seaux à sève sont conçus de manière similaire avec l’ajout d’une fine bande de bois autour du rebord du seau pour éviter les déchirures. Une poignée de corde est ajoutée aux seaux afin qu’ils puissent être suspendus à l’une ou l’autre extrémité d’un joug aidant pour le transport sur les épaules. La capacité du godet était de 1 à 2 gallons (4,5 à 9 litres).

Roseau entaillé

Des entailles dans le tronc de l’arbre dans laquelle on insère un bardeau ou un roseau permet à la sève de couler dans le seau d’écorce de bouleau. La sève, claire comme de l’eau, possède une teneur en sucre de 2 à 3%. La douceur, à peine détectable, n’a aucune saveur d’érable à ce stade. La sève récoltée se transverse ensuite dans un récipient fabriqué à partir d’une bûche évidée. On comprendra qu’à cette époque, les chaudrons en fer n’existe pas. On utilise davantage des pots en terre cuite. Des pierres chauffées sont placées dans la sève pour l’amener à une ébullition lente et constante. Cette manière de cuisiner avec des pierres a été documentée dès 1555. On ajoute davantage de sève au fur et à mesure que l’eau bouille. On prend soin de ne pas ajouter trop de sève, car si elle déborde, le feu s’éteint et des heures de vigilance se verraient gaspillées.

 

Une fois l’eau de la sève bouillie, le sirop d’érable contient généralement 66% de sucre. Si la sève bouillait trop longtemps, il y avait un risque de la brûler en raison de la forte teneur en sucre. Si la teneur en sucre est trop faible, le sirop est plus susceptible de se gâter. Si la teneur en sucre est trop élevée, le sirop peut cristalliser lorsqu’il est conservé sous forme liquide. Ces pourcentages demeurent encore pertinents aujourd’hui.

Femme ojibwée récoltant un érable à sucre (image: Roland Reed, 1908) Bibliothèque du congrès des États-Unis (cph.3c05740)

Par ailleurs, si l’eau d’érable est laissée dehors toute la nuit dans des bols peu profonds, l’eau non sucrée remonte à la surface et gèle, concentrant davantage la sève. La couche de glace s’enlève le matin avant l’ébullition, réduisant ainsi le temps de traitement au-dessus du feu. Les peuples des Premières Nations conservent le sirop d’érable sous trois formes: en gâteaux au sucre, granulés ou en tire. Lorsque la majeure partie de l’eau s’évapore, le sirop se verse dans des « mokuks », des boîtes bien ajustées faites de panneaux d’écorce de bouleau cousus avec de fines bandes d’écorce d’orme. À l’intérieur des mokuks, le sirop se cristallise et forme des gâteaux de sucre pesant chacun de 20 à 30 livres (9 à 13.5 kg environ). Les mokuks remplis de sucre représentent une part importante du commerce des Premières Nations. Les gâteaux râpés en granules se stockent dans des poches plus facilement transportable et surtout se divisant mieux selon les usages voulus. Par exemple, pour une petite douceur à un plat, juste besoin d’ajouter quelques morceaux de sucre à l’eau.

De plus, lorsque réchauffé, le sirop pouvait se verser sur de la neige fraîche et, en quelques minutes, il se transformait en une consistance semblable au caramel, idéal aussi pour le stockage. Les gens célébraient ce moment de l’année en l’associant au mois du sucre ou à la lune de l’érable.

Technique autochtone utilisant des barils en métal (image: chroniquesbeauceronnes.wordpress.com)

Pour lire la suite… c’est-à-dire connaître la manière dont les canadiens-français ont modifié la technique des premières nations pour celle s’apparentant aux méthodes qu’on connaît aujourd’hui, je vous invite à lire mon ancien article de mars 2019.