Antoine D’Avignon est inconnu du public en général.
À priori, il paraît avoir vécu une vie ordinaire. Comme le personnage principal du film d’animation « L’homme qui plantait des arbres » de Frédérick Back, il avait un but, une passion, peut-être même une mission invisible et peu « jet-set » aux yeux du monde: celle de sauver des fleurs, des fruits et légumes de la disparition. Il serait sûrement surpris d’apprendre aujourd’hui, qu’il en est l’un des précurseurs au Québec et qu’à cause de lui, nombreuses de ses protégées n’ont pas sombrées dans l’oubli. Comme aucune source écrite n’y faisait référence à sa juste part, nous trouvions normal qu’il puisse aspirer à une meilleure reconnaissance pour ses efforts passés.
Né le 28 mai 1948 à Coaticook, il est le cadet d’une famille de 5 enfants. Il habite sur la ferme familiale où il apprend rapidement les rudiments de l’agriculture. Dans la vingtaine, il étudie à l’Université de Sherbrooke pendant un an et par la suite, il sera embauché en 1973 à l’âge de 25 ans par Agriculture Canada comme technicien en agriculture et ce, jusqu’à sa retraite le 28 mai 1998.
Entre-temps, il achète le 30 mai 1974 l’une des plus anciennes maisons du village de Saint-Louis-de-Pintendre qu’il habitera jusqu’à son décès. Sur ses deux arpents de terrain, il construit ses nombreux potagers. Les distances d’isolement sont très importantes pour préserver la pureté des cultivars. Il cultivait annuellement une centaine de variétés de fleurs, fruits et légumes quasi éteints. Les 26 cultivars de pommes de terre occupaient à eux seuls, 150 mètres carrés de son potager.
De fait, il est important de se remettre en contexte qu’au Québec, avant 1990 et l’arrivée d’Internet, la transmission des semences anciennes se résume à des échange de savoir et de matériel génétique de personne à personne. Si un individu brise la chaîne et qu’il en est l’unique héritier, c’est terminé. Monsieur D’Avignon s’aperçoit qu’au Canada anglais, la sensibilisation à la préservation des semences anciennes est beaucoup plus avancée qu’au Québec. Ses lectures l’amènent à prendre conscience de la disparition progressive et rapide de cette biodiversité agricole. Il apprend l’existence d’un organisme canadien de protection de semences créé en 1984 peu connu dans notre province nommé « Heritage Seed Program ». Il se sent aussitôt interpellé et la passion le gagne rapidement. Il s’y inscrit en 1989. Même avant de devenir officiellement son premier représentant (section Québec) 5 ans plus tard, il donne déjà des entrevues pour attirer l’attention du public sur la dégradation rapide de ce patrimoine agricole.
Par exemple, dans un article paru en mai 2000 dans Québec science, il sonnait déjà l’alarme en disant:
95% des variétés vendues dans les catalogues de semences sont hybridées ou encore transgéniques. Nos variétés sont pures, c’est-à-dire quelles n’ont pratiquement pas été croisées depuis plus de un siècle. C’est ce qui fait toute leur valeur.
Entre 1990 et 1995, il répond aux demandes grandissantes des journalistes de la télévision, des journaux, des revues spécialisées, au courrier postal et fait aussi visiter ses jardins aux curieux. Sa soeur Gisèle se souvient des appels téléphoniques constants pendant qu’elle, son frère Pierre et des amis s’affairaient au potager. Une telle culture exigeait beaucoup de travail et seul, la tâche aurait été impossible.
Ainsi, après l’avoir vu à la télévision ou lu un article, maints passants lui léguait leurs précieuses semences pour la postérité dans l’espoir de les perpétuer.
En 2003, il racontait justement à Anne-Louise Champagne, journaliste au Soleil:
Un jour, le vieux monsieur Ouelette m’a confié trois tubercules de ses pommes de terre uniques. « Ça brillait dans ses yeux! Il me confiait quelque chose qui lui tenait beaucoup à coeur. Ses enfants n’étaient pas intéressés à cultiver ses patates. » Ces pommes de terre à la pelure très foncée, presque bleue, et à la chair très blanche, sont tout simplement délicieuses.
Il les a appelé « patate crotte d’ours de Louis-Marie ».
En effet, il devait souvent leur donner un nom car leur provenance se confondait dans le temps et les appellations d’origine s’étaient perdues ou leurs propriétaires ne leur en avaient jamais donné.
Vers la fin de son mandat, c’était 450 lettres ou appels téléphoniques qu’il avait reçu en quelques mois. « Mon bureau de travail, c’est un coin de ma table de cuisine! » écrivait-il dans son aurevoir comme représentant. Et toutes ses correspondances se faisaient à la main.
Comme l’a écrit Bob Wilddfong, ancien président du Semencier du Patrimoine:
Je n’exagère rien en disant que si ce n’avait été des efforts d’Antoine, le Programme semencier du patrimoine ne serait quasiment pas connu au Québec.
Il fût une source d’inspiration pour les autres représentants ayant pris sa relève les années subséquentes notamment Diane Joubert qui lui a même écrit un mot intitulé: Il était une fois une personne qui a changé ma vie.
Malheureusement, l’homme s’est éteint beaucoup trop jeune, le 21 août 2003, âgé de seulement 55 ans.
Nous tenons à remercier sincèrement Madame Gisèle D’Avignon pour son temps, ses recherches et l’envoi de documents visuels uniques.
Quel bel hommage à ces pionniers de l’ombre…
J’ai justement semé ctte patate (la crotte d’ours) cet année. Heureuse d’en savoir un peu plus.
Un très beau texte qui fait la lumière sur un homme qui est malheureusement parti beaucoup trop vite…
Merci infiniment M. Richard. Grace à votre dévouement et générosité nous pouvons faire connaissance d’histoires et de gens merveilleux, qui, sans le talent de votre plume, resteraient dans l’oubli.
Le plus beau de l’histoire est,et j’en ai l’impression de plus en plus au fur et à mesure que je découvre vos billets, le point commun qui réuni la plupart de ces gens présentés sur votre blogue, et vous même par vos actions: une passion et mission noble qui sont nullement motivées par l’argent ou gloire. De telles personnes, vous y compris, sont une richesse pour nous tous.
Avec la tomate Oscar Gonthier, il va bien falloir que je trouve une place dans mon potager l’an prochain pour cette fameuse patate crotte d’ours. 🙂
Bonjour Monsieur Beauchamps,
vos commentaires nous touchent beaucoup.
J’écris au « nous » car sans ma conjointe, je n’aurais pas cette chance, encore moins ce luxe de mettre en lumière ces gens peu connus ni ces trésors alimentaires inestimables de notre patrimoine agricole. Elle m’aide beaucoup et je veux lui accorder tout son crédit.
En effet, la passion nous alimente beaucoup mais malheureusement, nous ne pouvons que constater la dégradation rapide de toutes ces variétés de fruits et légumes de notre patrimoine québécois. Et par ricochet, tout le savoir qui vient avec. Bien qu’il y ait de plus en plus de gens décidés à s’embarquer dans cette aventure de la préservation des semences, peu s’occupent du volet historique. Il y a urgence puisque la connaissance appartient à des gens âgés, voire décédés et leurs descendants sont souvent très viellissant. Nous n’avons le mérite que de révéler des pans de notre histoire collectives pour la postérité de ceux qui viendront après nous. Merci des compliments. Merci de prendre le temps de nous en faire part, c’est très apprécié.
Michel Richard
POTAGERS D’ANTAN
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