Joyeuse Halloween! Pour cette occasion, je ne pouvais passer à côté de cette anecdote historique.

Miss Ellen Willmott. (Photo: www.bethchatto.co.uk)

En effet, le monde du jardinage se parsème de personnages inusités qui, au fil du temps, ont laissé leurs empreintes. Parmi ces légendes, l’ascension vertigineuse et la descente de Ellen Ann Willmott (1858-1934), une riche héritière anglaise dont la passion dévorante pour les plantes et les aménagements paysagers l’amena, à la fin de sa vie, seule et ruinée.

Aînée d’une famille de classe moyenne supérieure, le père, Frederick Willmott, eut une carrière prospère comme avocat. Ses excellents revenus combinés à l’argent de sa belle-famille lui permis d’acheter en 1875 un domaine à la campagne de 30 acres, auquel il ajoutera 22 acres supplémentaires. L’amour des végétaux et des jardins transpirait chez les Willmott et plus spécifiquement du côté de Ellen. Ensemble, ils replantèrent les vergers et créèrent des parterres de fleurs, un potager, des vignes et des serres. Déjà à 21 ans, Ellen avait eut l’autorisation de gérer la construction d’un vaste jardin alpin. Des jeux d’eau furent incorporés, y compris plusieurs hectares de piscines, cascades et grottes. Durant cette même année, elle reçu un cadeau d’anniversaire de 1 000 £ (environ 25 500$ en dollar canadien d’aujourd’hui) de sa marraine sans enfant, la comtesse Helen Ann Tasker (1823-1888); cadeau qui se répétera au fil des ans jusqu’à la mort d’Helen. Au décès de la comtesse, elle léguera à chacune des sœurs (Ellen et Rose), l’équivalent de 140 000 £ (soit environ 8.5 millions en dollars canadiens d’aujourd’hui). Le coût de la vie n’étant pas le même à cette époque, la valeur de cette somme en 2021 se considérerait facilement au-delà de 225 millions. WOW!

Warley Place… jadis … au temps de Ellen Ann Willmott (photo et date inconnue)

Pour donner un exemple de sa nouvelle richesse, pour marquer son 30e (1890) et son 45e (1905) anniversaire, elle achètera deux propriétés européennes : Le Château de Tresserve, près d’Aix-les-Bains en France (1890) et La Boccanegra à Vintimille (1905), en Italie. À la mort de ses deux parents en 1898, elle héritera aussi de Warley Place et en devient l’unique occupante. À partir de là, elle pu poursuivre sa passion pour les végétaux sans contraintes financières ou familiales.

Ainsi, elle agrandi et développa les jardins de Warley Place en employant près de 104 jardiniers, tous des hommes; les jardinières n’étant pas autorisées. Les plantes furent commandées aux principales pépinières en nombre impressionnant, comme en témoignera 6 000 étiquettes de plantes différentes dans ses jardins recueillies lors de fouilles. Ses propriétés en France et en Italie reçurent un traitement similaire où elle y créera des jardins exotiques adaptés au climat et au terrain. Des sommes impressionnantes ont également été investies dans la décoration et l’ameublement extérieurs. Le mot d’ordre « qualité » et aucune dépense ne fût épargnée. Les jonquilles, l’une de ses premières passions ont été plantées par milliers à sa propriété de Warley Place où elle y cultivera et y multipliera de nombreuses variétés rares. Sa réputation lui valu une nomination au comité de la jonquille de la «  Royal Horticultural Society (RHS)  » de Londres moins d’un an après son adhésion. Elle siégera justement sur de nombreux comités où peu de femmes étaient admises. Dans un monde quasi masculin, elle remportera plusieurs médailles. Elle fût, entre autre, nommée l’une des trois fiduciaires chargées de superviser la création du nouveau site de la RHS à Wisley et l’une des premières femmes botanistes à devenir membre de la Linnean Society. Bien qu’il ne s’agissait pas d’un succès commercial, l’œuvre d’Ellen Ann Willmott, « The Genus Rose », fût largement acclamée.

Malgré cela, sa plus grande réussite personnelle aura peut-être été celle de devenir en 1897 la récipiendaire de la RHS Victoria Medal of Honour. Sa renommée et son cercle de contacts, à la fois horticoles et sociaux, s’accrurent; la royauté et l’aristocratie devinrent des visiteuses fréquentes de Warley Place, et Gertrude Jekyll, paysagiste anglaise reconnue, comptait parmi ses amis proches. Les nombreuses plantes qui portent son nom ou l’appellation Warley Place (willmottiae ou warleyensis) témoignent de son envergure pour l’époque. Bon nombre de jardiniers connaissent l’Eryngium giganteum biennal, souvent connu sous le nom de « Miss Willmott’s Ghost » ou « le fantôme de Madame Willmott ». Selon les écrits, préférant les jardins de style naturaliste, elle n’hésitait pas à laisser tomber quelques graines dans les jardins quelle jugeait trop formels. On explique qu’elle conservait toujours quelques semences de ce panicaut (E. giganteum) dans ses poches. Plante robuste, elle pousse sans grande attention et domine toutes les autres. Elle créait ainsi une certaine confusion dans l’aménagement tout en assurant une signature singulière de la part de la visiteuse. En voyant cette plante pousser dans leur parterre, les gens savaient que Miss Willmott avait laissé sa carte de visite.

(En haut): Illustration du E. giganteum dans la revue The Garden du 5 Novembre1887. (En bas): le panicaut Eryngium giganteum ou appelé Miss Willmott’s Ghost.

Toutefois, comme ce panicaut se ressemait chaque année et cela, longtemps même après le décès de la dame, on a commencé à l’appeler «Miss Willmott’s ghost»: le fantôme de Miss Willmott.

Évidemment, un tel train de vie devait tôt ou tard la rattraper. Malgré les conseils bien intentionnés de son entourage pour la raisonner, elle refusa de reconnaître son problème d’argent. Lorsque ses dettes devinrent incontrôlables, elle accepta des mesures pour redresser la situation. Le personnel fût licencié, les objets de valeur cédés et ses propriétés de France et d’Italie vendues. Malgré ces revers, elle travailla sans relâche pour entretenir les jardins de Warley où elle y vécut jusqu’à sa mort, seule, à l’âge de 76 ans. Warley Place et le contenu restant furent vendus pour payer ses dettes. La propriété a ensuite été démolie et les jardins sont maintenant devenus une réserve naturelle gérée par l’Essex Wildlife Trust.

Warley Place jadis (en haut) et les ruines visibles de nos jours, parmi les digitales (photo: http://www.hardy-plant.org.uk)

Il subsiste encore quelques héritages botaniques d’Ellen a Warley Place, Tresserve et Boccanegra, mais aussi au Château Spetchley près de Worcester, notamment une impressionnante collection de jonquilles. Une autre caractéristique majeure encore visible, sans aucun doute inspirée de la collaboration entre les deux sœurs (Rose et Ellen), consiste aux grands lits-fontaines; quatre « salles » symétriques bordées de haies d’ifs s’alignant autour d’une fontaine.

On sait par contre que de nombreuses plantes ont été introduites à Warley Place dû aux belles vieilles étiquettes à pointes en métal coulé encore parfois déterrées dans les parterres de fleurs. Contre le mur du potager à la frontière sud, et donnant sur les lits de la fontaine, se dresse un petit temple dorique, adapté par Ellen pour commémorer la vie de sa sœur, Rose, décédée en 1922, à l’âge de 60 ans. Gravées autour de la frise, inaperçues de nombreux visiteurs, se trouve les lignes suivantes, tirées du Rubaiyat d’Omar Khayyam (en anglais):

How oft hereafter in this same garden rising
The moon of Heaven is rising once again
Shall she look after me in?

Traduction libre:

La lune céleste se lève à nouveau. Combien de fois dans ce même jardin qui se lève, prendra-t-elle soin de moi en vain ?

Un hommage à une sœur perdue et une collègue jardinière.

Ellen (à gauche) et Rose (à droite) prenant le thé devant la « Root House » à Spetchley (photo: http://www.hardy-plant.org.uk)

Pour en savoir davantage sur cette femme unique, lisez:  « Miss Willmott of Warley Place: Her Life and Her Gardens » (en version anglaise seulement). Quant à une description plus complète de cette plante-héritage, consulter le site du jardinier paresseux.

IMPORTANT: Aux travers de mes recherches, de nombreuses sources se contredisent concernant les dates, les montants d’argent et les relations avec Ellen Ann Willmott. Je ne peux donc pas certifier avec exactitude tous les faits publiés. Je vous suggère une recherche beaucoup plus approfondie si jamais vous songiez à me citer. Ça laisse planer encore davantage le mystère autour de cette femme.