Je laisse de côté les fruits, légumes et fines herbes pour quelques semaines m’attarder sur les fleurs. J’ai amassé pas mal de trucs dans ma boîte d’articles brouillons à leur sujet et je me sens d’inspiration. Elles nous côtoient depuis toujours et pas juste comme plante d’agrément. J’opterai pour un angle typiquement « potagers d’antan » comme toujours. Bonne lecture!

Inga Jewel penchée vers un massif de pivoines, 29 juin 1943 (photo: Conrad Poirier)

Durant ma jeunesse, je me souviens des énormes pivoines ornant le bureau des enseignantes au mois de juin. Cette pensée a refait surface la semaine dernière après avoir souligné la fin du primaire de ma fille. Leur odeur enivrante et le colori des fleurs me rappellent tellement le début des vacances scolaires. J’imagine qu’à leur tour, mes rejetons se créeront leur propre mémoire visuelle et olfactive.

Bosquet de pivoines au Jardin botanique de Montréal, 29 juin 1943 (photo: Conrad Poirier)

Quoi qu’il en soit, l’enchantement de cette plante remonte très loin dans temps soit jusqu’aux botanistes occidentaux de la fin du 17e siècle où déjà, les jardiniers chinois réussissaient à créer des variétés à partir d’espèces indigènes de leur pays. Dans son livre de 1753 intitulé Species Plantarum, le naturaliste suédois Carl Von Linné lui donnera le nom latin aujourd’hui reconnu de pæonia en référence au plus ancien guérisseur des Dieux de la Grèce antique dénommé Péon. En herboristerie la plante s’utilise justement de manière traditionnelle pour soigner la toux nerveuse car on en fait des sirops calmants. Les fleurs entrent aussi dans la composition de suppositoires pour soulager les douleurs anales et intestinales. Évidemment, consultez une ressource professionnelle pour un accompagnement adapté.

Par ailleurs, Pline l’ancien (23-79), un naturaliste romain, considérait la pivoine officinale (pæonia officinalis ou petite pivoine herbacée d’Europe) comme étant la plus ancienne des fleurs cultivées. Admirées à Versailles, elle compta très vite parmi les «fleurs du roi». Facile à multiplier, les nobles l’ont ajouté à leur collection jusqu’aux jours où il y en avait partout… même chez les « pauvres ». Évidemment, pour ne pas s’associer aux miséreux, les « riches » les arrachèrent aussitôt de leurs parterres et platebandes.

Elle s’est donc rapidement retrouvée chez-nous au Québec. Si vous vous attardez à admirer les devantures d’anciennes maisons, il y en a sûrement une quelque part. Son espérance de vie et sa résistance l’aident à perdurer dans le temps. D’une viabilité estimée entre 30 et 100 ans, voire, selon certaines sources, jusqu’à 500 ans pour de très vieux cultivars, ce n’est pas un hasard si elles accompagnent nos anciens bâtiments. Elle demande peu d’entretien et s’acclimate de tous les types de sols si ce n’est un site avec un minimum de 6 heures d’ensoleillement. Lors d’une entrevue radiophonique, à l’émission « La semaine verte », du 11 juin 2011 à Radio-Canada, Martinus Mooijekind, alors président de la Société québécoise de la pivoine, y faisait mention des plus anciennes pivoines cultivées au Canada telles la Sarah Bernhardt (1906), la Kansas (1940) et la Mother’s choice (1950). Mais il y en a d’autres encore plus anciennes si vous cherchez un peu. Par exemple, dans le catalogue de semences Dupuy & Ferguson de 1929, on en dénombre pas moins de 175 variétés avec des appellations telles Duchesse de Nemours (1856), Madame Auguste Dessert (1899), Eugène Verdier (1864), Lamartine (1860) et Victor Hugo (1885). Je n’ai aucune idée si ces dernières existent encore. Pour les intéressés, sachez que la société canadienne des pivoines propose des échanges de graines de multiples variétés entre membres. Pour les plus pressés, vous pouvez facilement en trouver sur Internet et commander des racines en ligne chez plusieurs entreprises québécoises. Il en existerait près de 5000 variétés. Elle prend entre 3 et 5 ans pour s’établir mais elle devient une plante merveilleuse et incontournable pour recréer un aménagement paysager d’antan comme le montre la photo ici-bas.

Promeneuse dans une allée bordée de fleurs, des pivoines, sur le parterre de l’Hôtel de ville de Westmount, 14 juin 1938 (photo: Conrad Poirier)